
Déconfinement…
Le mot est sur toutes les lèvres.
Mais pourquoi est-ce si difficile à mettre en œuvre ?
Peut-être parce que le sujet repose sur un malentendu.
Pour déconfiner, encore faut-il avoir été… confiné.
Or, à part l’heureux propriétaire d’un bunker souterrain doté d’une large autonomie en vivres, personne ne pouvait observer un confinement totalement hermétique.
Malgré ce défaut d’étanchéité, cette mesure radicale n’aura pas été vaine pour autant. Le virus, considérablement freiné dans sa diffusion, semble marquer le pas.
Verra-t-on enfin le bout du tunnel le 11 mai ?
Certainement pas.
A cette date, moins d’un Français sur dix aura croisé le virus. Lever le confinement représente donc un gros risque ; celui de voir flamber de nouveau la maladie.
Un risque…
Et quel risque ! Le risque ultime étant celui de mourir.
Or, est-il aujourd’hui tolérable de mourir ou de voir disparaitre ses proches de maladie ?
Non. Dans notre société occidentale moderne, mourir « de rien » est encore la seule mort acceptable. Et même quand on meurt « de rien », la suspicion n’est jamais bien loin. Qui n’a jamais entendu la détresse de ces familles ordinaires bien décidées à porter plainte pour faire la lumière sur la mort soudaine du grand-père ? Car papi était en pleine forme ; on était venu le voir dans son EHPAD le mois dernier pour fêter ses 93 ans…
Alors, si demain mamie venait à mourir « de quelque chose », qui plus est de la maladie « à la mode », il faudrait trouver un responsable !
Un responsable…
En l’occurrence, le responsable tout désigné, c’est le gouvernement, trop souvent et très injustement résumé en la personne du chef de l’état, qui qu’il soit.
En réalité, le gouvernement fait ce qu’il peut ; plus ou moins bien, plus ou moins mal, face à un virus qui a dégainé le premier et qui impose ses conditions. La mission des autorités compétentes est de prévenir l’effondrement du pays en mettant tout en œuvre pour protéger les plus vulnérables. Suivant cette logique, il a été envisagé que les personnes âgées qui ne participent plus à la reprise économique par le travail, restent confinées plus longtemps. Cette proposition bienveillante mais très restrictive a instantanément suscité une levée de boucliers au nom de cette chère liberté individuelle à laquelle nous sommes viscéralement attachés.
La liberté…
Voilà bien le troisième mot clef de cette équation apparemment insoluble :
Nous attendons du gouvernement qu’il prenne la responsabilité de nous rendre notre liberté sans nous faire courir de risque.
Nous voilà piégés par cette quête utopique d’un « risque zéro » inaccessible, toujours servi par un « principe de précaution » paralysant et liberticide ; le tout assorti d’une recherche systématique de responsabilités si les choses tournent mal.
Or, si le gouvernement est pleinement dans son rôle pour évaluer et gérer au mieux le risque collectif, il ne peut être tenu pour responsable de la prise de risque individuelle.
Pour lui, toute la difficulté est de placer le curseur à l’endroit le plus judicieux pour obtenir le meilleur compromis entre un risque sanitaire globalement acceptable et celui de voir s’effondrer des pans entiers de la société dans l’espoir naïf de sauver tous ses enfants.
Regardons les choses en face et faisons preuve d’humilité face à ce fléau infiniment naturel qui nous dépasse : lundi 11 mai, dans les transports, les commerces, les écoles, les entreprises ; nulle part on ne fera d’omelettes sans casser des œufs. En d’autres termes, la guerre annoncée par le président de la république fera inévitablement d’autres victimes. Le 11 mai est la date choisie pour livrer une nouvelle bataille à l’issue de laquelle tous les soldats que nous sommes ne reviendront pas.
La pilule est difficile à avaler dans une société où l’individu, aussi modeste soit-il, occupe une place centrale. Ce citoyen anonyme auquel elle doit assistance et protection inconditionnelles en toutes circonstances. Mais face à cette situation exceptionnelle, ce principe fondateur de notre nation est battu en brèche par l’intérêt supérieur du pays. Pour le gouvernement, l’intérêt général prime chaque jour un peu plus sur les considérations individuelles. S’impose alors un choix darwinien où les faibles doivent s’effacer au profit des mieux adaptés, des plus malins ou des plus chanceux. Encore plus crûment dit, les pouvoirs publics doivent négocier âprement un armistice en se résignant à laisser sa part au virus. Dans un pays pétri d’idéaux humanistes comme le nôtre, le propos est inaudible…
En résumé, cette liberté que nous aspirons tous à retrouver s’accompagnera d’un risque individuel incompressible dont nous devrons chacun assumer la responsabilité.
Pour ma part, plus conscient que jamais que la vie est par essence une « maladie » mortelle, j’ai pris ma décision : le 11 mai, je sors de mon trou d’obus et, moyennant quelques précautions élémentaires, je prends le risque… de Vivre !
A. NALEPTICO